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littérature française - Page 143

  • Sot printemps

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    Moineaux, bourgeons… amour peut-être, 
    Dissous dans le soleil léger,
    Pénètrent
    Le golfe bleu de ma fenêtre.

    Petit déjeuner dans la chambre :
    Hermine où grésille
    Une pastille
    D’ambre.
    - Ça s’appelle un œuf au miroir -

    Je m’y regarde, sans rien voir.

    Comment s’y regarder sans rire ?

     

    Roger KERVYN de MARCKE ten DRIESSCHE, Vingt-quatre triolets(La Maison du Poète, Bruxelles-Paris)

    Source : http://www.sculfort.fr/articles/litterature/poemes/poesiebelge.html

  • Comme un voyage

    Ce matin, j’ai pris un bus très tôt, beaucoup trop tôt pour me rendre à la gare. Peu importait, je comptais sur le mouvement pour me distraire de l’attente. Je me disais, c’est comme un voyage, même s’il ne s’agissait que de traverser la ville. Tous les débuts de voyage se ressemblent, petits ou grands, on passe une porte et tout commence, ou recommence. Et puis la neige me mettait dans un drôle d’état. 

    Michèle Lesbre, Un lac immense et blanc 

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    Découvrez « les quatre saisons du ciel » au-dessus de Bruxelles
    en visitant la seconde exposition de Philippe Massart
    à la bibliothèque Sésame (Schaerbeek, jusqu’au 18 juin).



  • La neige en juin

    Non, ce ne sont pas les caprices de la météo, c’est une lecture étrange, un beau soir de juin sur la terrasse au soleil couchant, sous un ballet d’hirondelles : Un lac immense et blanc de Michèle Lesbre. 

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    70 pages précédées d’une citation de Pavese : « Seul l’hiver est la saison de l’âme… » Une femme qui n’est plus jeune a gardé l’habitude du café brûlant pris sur le zinc, rituel de passage entre ses nuits et ses jours. Au Café lunaire, elle ne parle avec personne, elle observe. Les mains déjà fripées d’un jeune homme. Les gestes du serveur au rythme de la musique en sourdine.

    Ce matin, Edith Arnaud, « assistante », a cédé à une impulsion : au lieu d’aller au bureau, attendre le train de 8h15, celui que prend chaque mercredi un Italien qu’elle écoute mine de rien, à chacun de ses passages, parler de Ferrare avec le serveur – mais il n’y était pas. Raté aussi le rendez-vous avec le corbeau du Jardin des Plantes, fermé. Au jeune gars qui lui demande ce qu’elle fait dans la vie, elle ne répond pas, se demande si ôter le bonnet qui cache ses cheveux blancs suffirait, mais il insiste et elle finit par évoquer ses habitudes chamboulées – « alors je tente de m’adapter », ce qui le fait éclater de rire.

    Trottoir gelé, flocons. Elle a oublié ses gants quelque part, dans le bus ou sur le comptoir, garde les mains en poche. Dans tout ce blanc surgit le souvenir d’Antoine, de sa voix disant « Un lac immense et blanc ! Un lac immense et blanc ! » A peine sortis de l’adolescence (il y a des dizaines d’années), ils étaient quatre inséparables : Lise, Jean, Antoine et elle. « Je divague entre le présent provisoire et tout ce blanc atemporel. »

    Elle aime depuis toujours la complicité apparente des bars, et ce qui l’a touchée, dans les conversations en italien au Café lunaire qu’elle a suivies sans intervenir, c’est d’y retrouver « Ferrara » où elle a vécu. Quand elle écoute lItalien en parler, elle y est. Dehors, dans la neige, un autre souvenir s’impose, celui de la ferme où on l’avait mise en pension pour se refaire une santé, et cette nuit où elle avait rouvert les volets, enjambé la fenêtre et couru dans les champs tout blancs. « Je crois en la force des lieux », a dit Michèle Lesbre dans un entretien.

    Le corbeau du Jardin des Plantes, qui s’est posé un jour sur le dossier du banc  où elle était assise, est revenu un autre jour, elle lui a donné à manger. Il neigeait aussi quand elle a pris le train de Milan à Ferrare pour chercher les traces d’un cinéaste, Bassani. Elle y a résidé dans un vieux couvent, par économie.

    « Je réinvente ma vie dans le désordre en mélangeant les temps, les lieux, les êtres chers, mais c’est tout de même ma vraie vie. » Antoine, « tout de suite aimé » pour sa fougue et son désir de justice, dans les années soixante, disparu dans la décennie suivante, sans explication. La mobilisation, les tracts, les événements, les changements… Et puis le silence.

    Quelques notes au piano, dans un immeuble : elle reconnaît la sonatine de Diabelli, revoit des images de Moderato Cantabile avec Jeanne Moreau. Sur un quai, elle ouvre C’est corbeau de Jean-Pascal Dubost. Il n’y a presque rien dans Un lac immense et blanc. Avec ces riens, Michèle Lesbre livre la journée d’une femme qui se souvient, qui regarde, qui écoute – sa solitude habitée. Encore une de ses femmes qui marchent sans renoncer à voir, à vivre.

  • Déjeuner de soleil

    Lire avec Marthe Robert / 8          

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    « Déjeuner de soleil » par exemple ne laissait pas de m’intriguer, parce que ma mère en parlait avec prédilection, à propos d’objets et de situations dont le lien n’était pas toujours apparent. Comme elle avait un parler bien à elle dont j’ignorais le plus souvent l’origine, je rangeai d’abord « déjeuner de soleil » parmi ses créations personnelles ; et naturellement j’en comprenais la signification, mais l’expression ne me paraissait pas très bien venue, je trouvais le « de » incorrect, car qui aurait pu se nourrir de soleil, ou si l’on prenait la chose à l’envers, de quoi le soleil aurait-il pu se sustenter ? Je me trompais sur tous les points, « déjeuner de soleil » existe bel et bien et le génitif y est parfaitement justifié, seulement on ne l’utilisait pas en toutes les occasions que ma mère jugeait appropriées, il ne s’appliquait qu’aux tissus de mauvais teint dont la couleur passait à la lumière et dont le soleil ne faisait effectivement qu’une bouchée.

    Marthe Robert, Le Puits de Babel, Grasset & Fasquelle, 1987 / Biblio essais, 1988.

  • Mots perdus

    Lire avec Marthe Robert  / 7     

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    Deuil et mélancolie des mots perdus. – Qu’est-ce qui les a chassés du discours quotidien, où ils marquaient pourtant le besoin de la nuance, de la différence, et, au physique comme au moral, l’inépuisable variété des phénomènes humains ? Où sont partis le débonnaire, l’affable, le bonhomme ou le bonasse, l’atrabilaire ou le chafouin ? Où, le chenapan, le papelard, le doucereux ? Le salace, le graveleux, le salé ont complètement succombé au porno ; l’acrimonieux et le sarcastique s’abolissent dans l’agressif ; le piquant cède la place à l’intéressant, tandis que la charmeuse ou la sorcière, la sainte-nitouche ou la virago, et combien d’autres mots si propres à diversifier choses et gens, tombent dans le néant créé en hâte par notre rage de nivellement (comme si de tout fourrer dans la grisaille de l’uniforme avançait le règne de l’égalité). (…)

    Marthe Robert, La vérité littéraire, Grasset & Fasquelle, 1981 / Biblio essais, 1983.